Chapitre XXII

Le roi avait réuni son conseil dans une grande salle voûtée situé au premier étage de la tour principale du château. Trois jours s’étaient écoulés depuis la bataille. Karlus était assis en bout de table avec sa mère à sa droite et sa sœur à sa gauche. Priscilla avait vigoureusement insisté pour participer à la réunion qui comprenait en outre, le grand argentier, le Père Supérieur, De Gallas et Yvain. Ce dernier, toujours intimidé par la présence des hauts personnages se faisait très discret.

Amusée, la reine regardait sa fille qui lançait à la dérobée des regards vers le jeune homme. Son attitude était nettement moins hostile que les fois précédentes.

— Le connétable de Guerreval, dit le souverain, se remet lentement de ses graves blessures. En attendant qu’il soit complètement guéri, j’ai confié cette charge au baron d’Escarlat.

Seul, le grand argentier arbora un air réprobateur. Habitué aux décisions du roi Johannès qui privilégiait la haute noblesse, il ne comprenait pas les choix de Karlus.

— Yvain, parlez-nous de la situation de l’ennemi.

— Sire, j’ai envoyé en reconnaissance des sergents montés dans plusieurs directions. Les Godommes se sont retirés et sont déjà à trois jours de marche.

— Ils fuient pour regagner leur lointain pays, intervint Priscilla.

— Je ne le pense pas, Princesse. La route la plus courte pour atteindre la Godommie est celle qui longe le marais maudit alors qu’ils ont pris la direction de Fréquor.

— Pourquoi ne les avez-vous pas poursuivis ?

— Avec quoi ? grinça Yvain. Je n’ai pu rassembler que deux cents malheureux fantassins et archers épuisés et à peine quarante chevaliers qui ne sont pas en meilleur état. En dépit de ses pertes énormes, l’armée godomme est encore trois fois plus nombreuse. En rase campagne, nous serions rapidement écrasés.

Voyant sa sœur ouvrir la bouche, Karlus coupa sèchement :

— Messire d’Escarlat a fort bien agi et je vous prie de m’épargner les citations des chansons de geste où un preux vient à bout à lui seul d’une armée entière. Nous avons eu la preuve que c’est inexact. En dépit de la vaillance de tous nos chevaliers, les Godommes auraient fini par nous vaincre sans l’éboulement providentiel de la montagne.

Il lança un regard ironique à Yvain qui avait mentionné l’existence du cadeau de la créature du marais.

— À votre avis, de quel répit disposons-nous ?

Yvain réfléchit rapidement.

— Il faudra à Radjak plusieurs mois pour réunir les hommes des tribus dont certaines ont été éprouvées, et leur apprendre à manœuvrer. L’hiver sera venu et je ne crois pas qu’il entreprendra une campagne alors que le col sera couvert de neige. Il attendra probablement le printemps.

— C’est également mon avis, dit Paul, et celui du connétable avec lequel je me suis entretenu ce matin.

— Il convient donc de nous organiser. Ma première décision est de destituer le Grand Prêtre de l’église d’Allium qui pactise avec les Godommes. Les templiers du cristal en prendront la direction.

Le Père Supérieur hocha lentement la tête.

— Une tâche difficile mais à laquelle notre communauté s’attellera avec cœur, j’en suis persuadé.

— Bien, il nous faut maintenant songer à reconstituer notre armée.

— Il suffit de battre le rappel de vos vassaux qui ne vous ont pas encore rejoint, dit le grand Argentier.

— Nous le ferons mais je crains que ce ne soit insuffisant. Certains barons se laisseront sans doute attirer par les promesses de Radjak et d’autres attendront prudemment de voir l’évolution de notre conflit.

— Ce serait félonie, clama la princesse puisqu’ils ont juré fidélité à notre père.

— Disons de la politique, ricana le roi. Je dois adouber rapidement de nouveaux chevaliers.

— Où les trouverez-vous, dit le grand argentier, si vos barons ne viennent pas ?

— À Rixor et dans ce qui reste de notre armée. Ce sera une brillante récompense pour les sergents les plus vaillants.

Manifestement, l’idée d’anoblir des roturiers ne plaisait ni à la princesse ni au grand argentier mais ils ne protestèrent pas.

— Pour cela, reprit le roi, il nous faut des cristaux. Père Supérieur, pouvez-vous nous les procurer ?

Le vieil homme secoua la tête, la mine désolée.

— Seul le grand maître Armadérien peut en disposer dans notre temple des montagnes. Malheureusement, il ne peut envoyer un de nos frères qui serait certainement capturé par les Godommes.

— Je pourrais retourner au temple, proposa de Gallas, si vous m’indiquez la route à suivre.

Le père mit une minute pour répondre.

— Tout comme vous, je l’ignore. Je peux seulement vous montrer la direction.

Devant la crispation du visage de Paul, il ajouta :

— N’ayez crainte car plus vous approcherez du temple, plus vos souvenirs reviendront. Vous atteindrez ainsi votre but… si les Godommes ne vous capturent pas. Nous prierons pour vous.

— Je vous en remercie, dit le roi. Le voyage sera périlleux. Es-tu sûr de vouloir l’entreprendre, Paul ?

— Avec votre permission, Sire, je partirai demain.

— Puis-je l’accompagner ? demanda aussitôt Yvain.

— Non, car j’ai une autre mission à vous confier. Je veux que vous alliez dans les cités-états du sud-ouest pour recruter une troupe de mercenaires qui renforcera nos effectifs. Prenez cependant garde car certains potentats locaux peuvent être tentés de conclure des accords avec Radjak.

— Payer des mercenaires pour nous défendre, bougonna le grand argentier, est un défi à toute la chevalerie. Les morts se dresseront dans leur cercueil.

— Malheureusement, les morts ne participent plus aux combats, soupira le roi. Je confirme donc la mission du baron d’Escarlat et vous rédigerez les lettres de crédit dont il aura besoin. Quand pensez-vous pouvoir vous mettre en route ?

— Demain ! Ainsi, je voyagerai avec messire de Gallas les trois premiers jours tout au moins. Nos chemins divergeront ensuite.

— Qu’il en soit ainsi fait.

Au sortir du conseil, Yvain rendit visite au connétable qu’il trouva allongé sur un lit. Il avait une mine tirée et un teint bien pâle.

— Maître Arp est satisfait de mes progrès mais moi je commence à m’ennuyer.

Yvain fit un résumé des décisions du conseil, ce qui fit dire à de Guerreval :

— Ce jeune Karlus sera un grand roi si… l’Être suprême lui prête vie. Lors de notre première rencontre au tournoi de Pendarmor, vous m’avez intrigué et j’ai pensé alors que vous feriez carrière dans les armes. Je ne pensais pas qu’elle serait aussi rapide mais cela me réjouit. J’attendrai avec impatience votre retour car j’aurai besoin d’un assistant de votre trempe.

Yvain sortit songeur. Il aurait volontiers dîné avec Paul mais ce dernier était resté avec les moines pour une veillée de prières. Devant sa chambre, il trouva le grand argentier qui lui remit trois parchemins.

— Ménagez cet argent ! Choisissez judicieusement vos hommes. Ce n’est pas le prix qui fait la qualité. De toute manière, ils se défileront dès le premier engagement !

Avec un soupir douloureux, il tendit une petite bourse à Yvain.

— Ce sera pour vos frais de voyage.

Dans l’appartement emprunté à de Gallas, il retrouva Xil qui avait préparé un souper.

— Messire, je souhaite vous accompagner demain.

— Tu peux fort bien rester ici.

— Je maintiens ma demande.

— Une fois encore, je ne sais si tu fais le bon choix. Dans mon sillage, on ramasse plus de horions que d’écus.

— Je fais ce que dicte mon instinct. J’ai été ramassé sur un champ de bataille par un obscur chevalier et quelques semaines plus tard je me retrouve écuyer d’un connétable même s’il l’est seulement à titre temporaire.

— Tu oublies plusieurs batailles et un séjour dans un maudit marais.

— Qu’importe puisque je suis toujours là !

— Mais pas plus riche ! Ce ne sont pas les quelques pièces données par notre grand argentier qui gonfleront tes poches.

— Si vous n’avez plus besoin de moi, je file car j’ai un rendez-vous avec la petite Risa.

— La suivante de la reine ?

— Elle voulait tout savoir de nos aventures. J’ai promis de les lui raconter… au lit !

La nuit était tombée depuis plusieurs heures et c’est à la lueur d’une simple chandelle qu’Yvain se déshabilla et s’allongea sur sa paillasse. À l’instant où il allait plonger dans le sommeil le bruit de la porte le fit se redresser tandis que Priscilla entrait. Elle était pieds nus et ne portait qu’une mince chemise de toile.

— Princesse, marmonna Yvain.

— Taisez-vous ! ordonna-t-elle.

Ses doigts tirèrent sur un cordon et le haut de sa chemise s’ouvrit. Une seconde après, le vêtement glissa sur le sol. Priscilla apparut, nue dévoilant ses seins ronds hauts attachés, son ventre plat et ses cuisses fuselées. Elle secoua sa chevelure brune et d’un mouvement souple se glissa dans le lit.

Yvain était resté immobile, paralysé. Elle se plaqua contre lui et écrasa ses lèvres sur les siennes. Un frisson les secoua et les deux jeunes créatures se laissèrent entraîner dans un voluptueux tourbillon. Leurs ébats se prolongèrent tard dans la nuit car Priscilla savait ranimer les ardeurs de son partenaire.

Épuisés, ils restèrent immobiles. La tête de la princesse se posa sur le torse d’Yvain.

— Pourquoi ? murmura ce dernier.

— Je me suis donnée au Prince des Ténèbres pour qu’il vous emporte. J’ai pensé que si je me donnais à vous une nouvelle fois cela pourrait annuler ma demande car je ne veux plus que vous mourriez. De plus, j’avais trouvé notre première rencontre particulièrement agréable.

Cet aveu dut lui coûter car elle se leva d’un bond, ramassa sa chemise et s’enfuit en courant.

— Que cette princesse est fantasque et difficile à comprendre, murmura Yvain. La créature du marais l’avait bien senti.

Il ferma les yeux, songeant au lendemain. Quelle sera l’issue de la longue lutte qui se prépare ? Le roi regagnera-t-il Fréquor ? Surtout, découvrira-t-il un jour le secret de sa naissance ?

 

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE

Les Sorcières du marais
titlepage.xhtml
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_000.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_001.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_002.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_003.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_004.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_005.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_006.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_007.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_008.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_009.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_010.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_011.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_012.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_013.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_014.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_015.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_016.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_017.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_018.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_019.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_020.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_021.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_022.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_023.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_024.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_025.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_026.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_027.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_028.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_029.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_030.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_031.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_032.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_033.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_034.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_035.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_036.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_037.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_038.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_039.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_040.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_041.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_042.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_043.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_044.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_045.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_046.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_047.html
Les Sorcieres du marais - Jean-Pierre Garen_split_048.html